
Cet animal rare, libre et sauvage, et sans aucun prédateur est le roi de nos forêts. Son territoire, quatre vingt dix sept pour cent du territoire français, rien que ça, mais en fait, surtout les forêts. Il entre actuellement en sa période d’appel à la reproduction et l’idée d’aller l’écouter dans la nuit ramène à sa modeste condition tous les humains les moins mégalomanes. Ceux qui le sont encore plus comparent, hautains, ce cri de défi dans la nuit à une puissante motocross du genre de celle qu’ils maitrisent en partie. Par comparaison, un moteur de camion fait douze litres de cylindrée et à mille tours déploie un volume important mais assourdi par un silencieux conséquent. Chez le cerf, point de silencieux. C’est bien simple, le son dont j’ai trouvé qu’il s’approche le plus de l’animal en rut est la Porsche trois litre Carréra, voire le Caterpillar de deux cent chevaux, c’est vous dire la puissance, et surtout l’image.
Son moteur, la plèvre, cette membrane pliée à l’intérieur de ses poumons, ses cordes vocales de plus de dix centimètres, son diaphragme tendu comme le filet d’une catapulte, son ventre qui se vide, se recroqueville et pousse sur son périnée qui lui étreint la verge en quête d’une ovule.
La membrane intérieure couvre une surface de près de quatre vingt mètres carré, huit sur dix, c’est à dire que ses poumons déployés auraient un volume total de près de trente mètres cubes ou trente mille litres, dix fois la cuve à fuel. Même si elle est pliée, cette capacité détermine la résonance dont il se sert fièrement pour épater, effrayer, voire, épouvanter ses semblables. Son geste pneumonique est équivalent à celui que pratique pour sa survie, celui qui s’est enfouie la tête sous l’eau quelques dizaines de secondes jusqu’au point critique ou s’impose le besoin imminent de la dose d’oxygène. En ressortant de l’eau, sa bouche s’ouvre brutalement et admet immédiatement dans un râle impressionnant le volume suffisant à reprendre lumière. Le râle est dû à la contraction des cordes vocales qui vibrent et répercutent comme une trompe dans le vide de sa cage thoracique. Si vous n’avez jamais fait cette expérience, vous pouvez passer la tête dans une cuve de cave à vin vide, d’un volume équivalent, et pousser un petit cri sans prétention. Ce son qui en plein air s’éloigne à l’horizon et disparaît de suite, mat, creux, dans un espace clos devient immédiatement répétitif et à l’écho impressionnant. Le son qui parcours trois cent mètres à la seconde dans un espace clos vous agresse cent fois et toujours tout droit. C’est l’effet d’une bombe, et à devenir fou.
Les plus téméraires des humains mériteraient d’aller se frotter, seuls et en pleine nuit, à cette force de la nature dans son milieu sauvage, et à l’heure du rut. L’animal en combat pour appeler femelle, n’a pas de coupé sport, ni de Rolex au bras. Il fait résonner les ondes par le sol de toute la forêt sans aucun mégaphone. Vous ne me croyez pas, allez y vous verrez, vous entendrez le son vous monter par les pieds. Les femelles effrayées se regroupent vers lui et sont si affolées que leur organe aussi subit une détente et l’appel du ventre est prêt à partager. La portée du brame peut être entendu sur plus de dix secondes, dans les vallées profondes, ce qui fait au bas mot qu’il discutent entre eux jusqu’à trois kilomètres. Se sentant défiés les grands mâles se rapprochent, se comparent, s’évaluent et enfin se percutent de leurs puissants pare-chocs. Ces cornes qui leur poussent dans l’année, qu’ils vont perdre en février, sont faites de la même matière approximativement que vos ongles mesdames, sauf qu’elles pèsent jusqu’à cinq kilos. Quand enfin ils se battent, tous ces bois qui se claquent sont tout aussi impressionnants. Le vainqueur au matin ayant repoussé tous ses rivaux se trouve entouré des plus belles gazelles et dans une aura de phéromones positives, saute sur la première qui feint l’esquive. Le geste d’ensemencement dure au bas mot, une simple seconde, et la femelle s’enfuit, féconde.
Déjà dans les bois sombres par les nuits sans lune, faites cette expérience seul. Engagez vous dans un chemin sur cinquante mètres en plein bois, garez vous, éteignez tout et descendez de voiture. Posez vous contre le capot avant et après deux ou cinq minutes à vous habituer, faites cinquante pas en avant dans l’exacte direction que montraient vos lumières allumées...vous n’y arriverez pas. En période de brame, c’est encore pire, malgré l’absence totale de danger l’animal n’ayant qu’un seul but de chasse, vous n’oserez pas lâcher votre poignée de porte, tellement le noir est pur et le silence angoissant entrecoupé de cris monstrueux répercutés par l’écran noir du bois. La saison des amours dure un bon mois et est bien commencée. Je vous souhaite un bon dimanche plein d’émotions.
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