Class : Hautement confidentiel - A -
Archive secteur Z4, section 8, plan U-7
Texte caligraphié, trouvé dans la zone de non-droit R-5K9, sur un cadavre. Le caractère historique et véridique de ce document en fait un sujet hautement sensible, à réserver aux validés -A-. Impropre à diffusion hors des archives Z4.
Je me demanderais encore longtemps pourquoi j'ai autant de chance dans cette existence. Même si perdre toute sa famille ne peut être considéré comme une chance, c'est vrai.
Projeté à 30 mètres en contrebas, dans le ruisseau, je n'ai eu que de nombreuses contusions, mais rien de cassé, aucune plaie. Et, inconscient, j'avais la tête hors de l'eau.
Aussi, aujourd'hui, je me demande vraiment si quelque chose, que l'on pourrait nommer "Dieu", voulait que je reste en vie, juste pour écrire ce qu'il s'est passé sur des bouts de carton ondulé.
Ce jour là, après le bombardement, ce sont des soldats qui ont secouru les survivants, des soldats étrangers. Tchèques, je crois, d'après le souvenir des drapeaux cousus sur leur bras, mais je ne pourrais pas le jurer.
Dans l'état où j'étais, je n'ai pas pu voir l'horreur du champ de bataille, heureusement. Les brûlés, les amputés... tous ceux qui survivent mais en mourront bientôt.
J'ai demandé à l'interprète présent des nouvelles de ma famille mais j'ai vu à son regard qu'il n'y avait aucun espoir. Sur les 125 personnes présentes autour du camp à ce moment là, il n'y avait que 14 survivants.
L'évacuation était prévue pour le lendemain, car tous les hélicoptères étaient réquisitionnés pour la bataille en cours dans la ville.
J'avais mal dans tout mon corps, à chaque articulation, chaque nerf, mais je savais qu'il fallait que je me sauve. Le camp médical n'était pas gardé. Pourquoi garder des estropiés?...
C'est en toute tranquillité, dans un total vide d'esprit, que je suis parti en boitant, vers le Sud.
J'entendais des tirs sporadiques, loin, au nord. La bataille pour la ville n'était pas finie. Je ne pensais à rien. J'étais tel un robot marchant vers la survie, vers la liberté.
Je n'avais plus rien sinon ma souffrance.
Et croyez moi, c'est très lourd, la souffrance, mais cela vous fait oublier le ventre vide. Et je pense que c'est la souffrance qui m'a sauvé la vie dans les jours qui ont suivis.
La vie est parfois surprenante. Et ce que j'ai vécu à partir de ce moment là est plus magique que rationnel.